
Bovary Madame
Comité Dans Paris
Je m’aperçois que la plupart des spectacles que je crée au théâtre ressemblent au fond
à des séances de spiritisme. Esprits, êtes-vous là ? Qu’il s’agisse de faire revivre les
écrivains de Minuit dans Nouveau Roman, les artistes morts du sida dans Les Idoles ou
les membres de ma famille dans Le Ciel de Nantes. Comme si j’accordais au théâtre le
don de la nécromancie. Cette fois, j’aimerais que le plateau soit hanté par un personnage
romanesque et qui plus est peut-être le plus célèbre de la littérature française : Emma
Bovary. Cette fois, j’aimerais non pas transformer des personnalités réelles en figures
de théâtre, mais approcher un personnage romanesque comme on s’approche d’une
personne dont on ne connait pas toute la vie.
Dans L’Art de la fiction, Henry James s’étonnait qu’un roman qui présente la destinée
d’une épouse d’un médecin de campagne dans un bourg normand, puisse aboutir à un tel
chef-d’œuvre : « les éléments à peindre sont en nombre infime, la situation de l’héroïne
est pour ainsi dire minable, le matériau des moins prometteurs ; or tout cela va donner
vie à une œuvre de génie… Les pauvres aventures d’Emma Bovary sont une tragédie
pour cette raison qu’en un monde ne soupçonnant rien d’elle, la laissant sans aide et
sans consolation, elle doit seul distiller le précieux et le rare. » La lutte démesurée et
perdue d’avance qui se joue pour Emma Bovary entre sa réalité cruelle et ses aspirations
romantiques fonde le mystère étonnant de ce personnage. Est-elle une sœur éloignée de
Don Quichotte ou bien juste une héroïne sans moyen dont on peut moquer la candeur
et l’ignorance, ou bien incarne-t-elle, d’une manière flamboyante et frondeuse, et très
moderne, le refus féminin face à la renonciation ? Emma Bovary a acquis au fil des lectures
et des interprétations diverses, un statut de mythe féminin dont on ne cesse d’interroger
la fonction symbolique.
Par une analogie étrange, quand je pense à Emma Bovary, c’est Martine Carol dans le
film Lola Montès que je vois. Le cinéaste Max Ophüls met en scène son personnage titre,
personnage imaginaire, comme une bête de cirque, offerte à la concupiscence et au
mépris du public par un Monsieur Loyal monstrueux. Lola, ex-courtisane qui fit tourner
les têtes couronnées, ne survit qu’en rejouant chaque soir, sur le mode de la pantomime,
les épisodes les plus scandaleux de sa carrière. Comme un cauchemar, le film alterne les
moments de cirque avec des séquences de reconstitution historique qui semblent émaner
de la mémoire du personnage.5
J’aimerais travailler la mise en scène de Madame Bovary dans un semblable double
mouvement : La mise à distance et l’intimité, le spectacle et le réel, la parade et le sentiment
vrai. En enchaînant les épisodes reposant sur les stations du récit : Emma au couvent,
Emma à son mariage, Emma dans les bois, Emma dans le Fiacre…
Emma Bovary n’est pas Lola Montès, dont elle aurait certainement envié la vie romanesque
de grande amoureuse, mais toute commune et banale qu’elle soit, sa carrière d’épouse
adultère n’est pas moins scandaleuse. Et chez Flaubert, comme chez Ophüls, il s’agit
bien d’un récit d’agonie. En la plaçant à la fois comme « actrice » d’elle-même et comme
sujet à commentaires, j’ai dans l’idée de parvenir à cerner les contours de sa figure, de la
même manière qu’on réalise une mise au point sur un visage qu’on filme.
Cela fait désormais plus de vingt ans que j’écris et mets en scène pour le théâtre, et j’ai la
chance d’avoir constitué autour de moi une troupe de comédiennes et comédiens fidèles.
C’est avec eux que je veux me lancer dans ce nouveau projet : Harrison Arevalo, Jean-
Charles Clichet, Julien Honoré, Stéphane Roger, Marlène Saldana, Chiara Mastroianni.
J’aimerais qu’ils soient rejoints par deux jeunes comédiens, un garçon et une fille. Nous
travaillerons avec la méthode que nous avons perfectionnée spectacle après spectacle :
une écriture de plateau qui laisse la part belle aux improvisations à partir d’un travail
minutieux de dramaturgie. J’ai dans l’idée qu’ils ont tous des idées sur Madame Bovary, et
qu’il serait frustrant et maladroit de ne pas leur donner la possibilité à tous de l’incarner
à un moment ou à un autre sur le plateau.
Flaubert avait placé un sous-titre à Madame Bovary : « Mœurs de province ». C’est peut-
être étrange, mais à mes yeux le cœur secret de ce projet, ce qui m’attire tant, est contenu
dans ces mots « Mœurs de province ». J’espère par ce spectacle retrouver quelque chose
de la petite ville où j’ai grandi, retrouver les commerçants, l’odeur du feu de bois, les
ruelles de nuit, les rumeurs de jour, les sous-bois où l’on s’étend, les bals auxquels on
rêve de participer à la ville voisine, et la certitude qu’on maquille en espérance à peine
crue, que seul l’amour peut nous sauver.
Mise en Scène
Christophe Honoré
Avec
Harrison Arevalo
Jean-Charles Clichet
Julien Honoré
Davide Rao
Stéphane Roger
Ludivine Sagnier
Marlène Saldana
Collaboration à la mise en scène
Christèle Ortu
Scénographie
Thibaut Fack
Lumière
Dominique Bruguière
Costumes
Pascaline Chavanne
Son
Janyves Coïc
Collaboration à la vidéo
Jad Makki
Assistanat lumière
Pierre-Nicolas Moulin
Construction du décor
Ateliers du Théâtre Vidy-Lausanne
Production
Aline Fuchs
Colin Pitrat
Iris Cottu
Diffusion
Elizabeth Gay
Production
Théâtre Vidy-Lausanne
Comité dans Paris (Compagnie de Christophe Honoré)
Coproduction
Théâtre de la Ville, Paris
TANDEM Scène nationale Arras-Douai
Le Quartz – Scène nationale de Brest
Bonlieu Scène nationale Annecy
Théâtre national de Bretagne, Rennes
Les Célestins, Théâtre de Lyon
Mixt, Terrain d’arts en Loire-Atlantique
La Comédie de Clermont-Ferrand, scène nationale
TNN Productions
CDN Nice Côte d’Azur
Scène nationale Carré-Colonnes Bordeaux-Métropole
Scène nationale du Sud-Aquitain
Scène nationale de l’Essonne
Le Quai CDN Angers Pays de la Loire
La Coursive Scène nationale La Rochelle